Oraison funèbre pour Raymond Bouthier

« Tu ne t’es guère reposé, Papa, depuis ce printemps 1922, jusqu’à cet hiver 2009, où tu poses enfin tes valises. Entre la tempête de 2009, et celle de 1914.

Au sortir de cette guerre qui vous avait meurtris, même si vous étiez nés juste après, il en a fallu de l’amour à tes parents, nos grands-parents, pour vous en transmettre assez pour toute votre vie, à toi, à ton frère, à tes trois sÅ“urs ici présentes, assez d’amour pour nous en redonner, à nous, les vingt-deux enfants, petits-enfants, arrière petits-enfants, de Raymond et Georgette Bouthier.

Puis à dix-sept ans, encore adolescent, tu as connu la 2nde guerre. Tu as été déporté au STO. Tu as connu l’injustice, les douleurs de l’exil. Mais tu ne t’avouas pas vaincu : tu apprenais les langues, celle des Allemands pour contester leur pouvoir, et le polonais de tes camarades d’infortune. Tu écrivais des poèmes, dont il me revient ces deux vers :

« Il reste l’invisible fil
L’amour lointain de ceux que j’aime »

Est-ce en mémoire de cet exil que plusieurs d’entre-nous, enfants, petits-enfants, ont choisi des exils (plus ou moins temporaires), au Japon, en Italie, en Allemagne…

Et puis il y a eu les petits bals de la Libération, où une rencontre changea ta vie et permit la nôtre, une jeune fille superbe, une petite Labritoise, la fille de M. et Mme Jabot, Georgette, notre Maman.

Tout le reste de ta vie, marqué par l’injustice, l’oppression, mais aussi par l’amour, tu t’es battu pour le droit, la justice, les opprimés. Tu es devenu un chrétien de témoignage, de réflexion, engagé. Le journal de toute ta vie d’adulte, c’est Témoignage Chrétien (auquel tu es toujours abonné) et dont la devise est « Vérité, justice, quoi qu’il en coûte. »

Et il t’en a coûté. Tu as été militant, syndicaliste, et serviteur de l’état, serviteur fier du service public.

Directeur d’hôpital, tu l’as voulu au service de ceux qui souffraient, et d’ailleurs, dans le dernier mois de ta vie, dans ta toute récente résidence de retraite d’Albret, tu as fait malicieusement remarquer au directeur qu’il était ton collègue, que toi aussi, il y a quarante-six ans, tu étais directeur de maison de retraite. On appelait encore ça, à l’époque, un hospice, et tu as contribué à l’humaniser. Ce goût de la gestion et du service des autres, est perpétué par plusieurs de tes enfants et petits-enfants qui ont créé des entreprises ou gèrent des services.

Tu nous as aussi enseigné à tous le jeu d’échecs, passion dévorante pour plusieurs, à un moment ou un autre de nos vies.

Militant, tu l’as été jusqu’au bout. Tu défendais le droit des employés, le code du travail. Tes collègues directeurs d’hôpital à Bordeaux disaient de toi, un peu agacés : « Bouthier, il couche avec le Code ! »

Retraité, tu as continué à monter à Paris comme administrateur de la Sécurité Sociale. A Bordeaux, tu fus assesseur auprès du tribunal (pour les questions de Sécurité Sociale bien sûr).

Et si nous, tes enfants, avons pensé en 68 inventer un militantisme plus malin — et si plusieurs de nos enfants à leur tour reprennent cette ambition familiale, au-delà des chapelles et des drapeaux, c’est un peu à toi qu’ils le doivent, à ta foi, à tes valeurs, à ta générosité.

A la fin de ta vie, Maman et toi, vous avez eu la douleur indicible de perdre Françoise, votre fille, notre sÅ“ur — et puis, il y a six mois, Minouche, ma femme, votre fille qui vous aimait et s’occupa si bien de vous.

Je passerai sur les douleurs de la fin de la vie. Elles pèsent leur poids. Il t’a fallu du courage, Papa, mais un courage toujours discret, pour affronter tout cela et continuer à vivre avec optimisme, jusqu’au bout, marchant obstinément avec tes cannes, prenant les escaliers au prix de mémorables chutes, qui ne t’ont d’ailleurs pas arrêté.

Jusqu’au bout tu as fait de l’espagnol (tu le parlais encore l’an dernier avec Mme Caps à la fête des voisins à la Villette), tu as voulu apprendre le japonais pour mieux communiquer avec tes petits-enfants du Japon. Tu nous as communiqué ta curiosité de tout, ton goût « d’une âme saine dans un corps sain » ; le dernier mois tu lisais Françoise Dolto, l’Evangile au risque de la psychanalyse, et tu écoutais des chansons du pays du Nord, du pays de ta maman.

Pour tout cela, et pour tout l’amour que maman et toi, et toute la famille, vous nous avez transmis, merci à toi, Papa. Et repose-toi enfin. Nous t’aimons. »

Texte rédigé par Pierre Bouthier.

Décès de Papa ( Raymond Bouthier )

Voici l’avis nécrologique que nous avons fait insérer dans plusieurs journaux (Le Monde, Ouest-France (Argentan), Sud-Ouest (Bordeaux et Landes) :

LABRIT – BORDEAUX – ARGENTAN
Mme Georgette BOUTHIER, son épouse ;
Pierre, Christian et Laurence, Jacques, ses enfants ;
Soeur Thérèse, Paulette MALTA, Claudine FRANQUART, ses soeurs ;
Roland FRANQUART, son beau-frère ;
Vincent GAUTIER et Sandrine, Catherine GAUTIER, Loïc GOUËLLO et Marianne, Antoine, BOUTHIER, Clarisse BOUTHIER et Emmanuel, Jun, Shin, Ken BOUTHIER, Anaé NICOLAS–BOUTHIER, ses petits-enfants ;
Manon, Thibaut, Merlin, Soumia, Nora, Nouredinne, Raphaël, Adrien, Marguerite, ses arrière-petits-enfants ;
Mme Josseline MÉNUDIER, sa cousine ;
Parents et alliés,
ont la douleur de vous faire part du décès de
Monsieur Raymond BOUTHIER
ancien directeur d’hôpital
survenue dans sa 87e année.

Les obsèques seront célébrées le mardi 3 mars 2009 à 10h00 en l’église de Labrit (40420), suivies de l’inhumation au cimetière de Labrit.

Raymond Bouthier était attaché au Ministère de la Santé Publique et détaché en province. Il était « attaché-détaché » comme il aimait à le dire.

Les personnes qui le souhaitent peuvent transmettre ici leurs condoléances à la famille en publiant un commentaire. Nous ferons suivre.

Papa…

Voici deux liens concernant des articles sur Papa que j’avais publiés l’an dernier. D’autres suivront prochainement pour raconter quelques événements récents.
Ces deux articles racontent quelques épisodes de la vie professionnelle de Raymond Bouthier. Ils seront bientôt suivis d’un résumé de sa biographie.

https://christian.bouthier.org/2008/10/10/un-attache-detache-1/

https://christian.bouthier.org/2008/10/11/un-attache-detache-2/

Je vous souhaite une bonne lecture et en profite pour adresser mes meilleures salutations et remerciements à l’ensemble du personnel dévoué de la maison de retraite de L. ainsi qu’à toutes les personnes qui m’ont adressé des marques de sympathie récemment.
Détails très bientôt sur ce blog…

Un attaché détaché (2)

L’hôpital d’Argentan possédait encore au début des années 60 un grand nombre de propriétés, essentiellement des champs et des prés, ainsi qu’une ferme. Il s’agissait de reliquats d’une accumulation de dons faits à l’établissement au cours des années ou, pour la ferme, d’une acquisition qui permettait à l’hôpital de se fournir en alimentation à bon compte.

La gestion de son approvisionnement nécessitant de diversifier ses sources et le maintien de la ferme et du personnel y travaillant étant devenu plus coûteux, l’attaché détaché recommanda à la commission administrative de l’hôpital de se défaire de ses dépendances qui d’ailleurs ne correspondaient plus aux objectifs d’un hôpital moderne.

C’est ainsi que furent rapidement mis en vente la totalité des propriétés et de la ferme. Il fut proposé au personnel de la ferme d’être employé sur le site de l’hôpital à diverses tâches. Ceci n’alla pas sans des difficultés bien compréhensibles pour des gens habitués au travail de la ferme et des champs mais aucun licenciement ni baisse de salaire n’eut lieu.

L’argent dégagé par ces ventes permit de construire un nouvel hospice car l’ancien était devenu trop vétuste.
C’est ainsi que l’hôpital a pu auto-financer cette construction sans aucune aide financière ni de la ville, ni du département, ni de l’état.

Voir  » Un attaché détaché – 1 « 

Dernière minute…

Un attaché détaché (1)

J’aime bien raconter, non sans une certaine fierté, l’excellent travail de mon père, Raymond Bouthier, lorsqu’il était attaché du ministère de la Santé et détaché en tant que directeur d’un hôpital de 320 lits à Argentan (Orne).
Lors de son arrivée, au début des années 60, l’hôpital n’avait pas de chirurgien à temps plein. Les opérations et le suivi des patients du service de chirurgie étaient assurés par deux chirurgiens à temps partiel qui étaient par ailleurs propriétaires d’une clinique dans la même ville.
Exerçant dans les deux établissements, il leur était facile, souvent avec l’aide des médecins de la région, d’opérer un tri des malades : les « rentables » étaient dirigée vers la clinique et les « non-rentables » vers l’hôpital public.
Cette notion de « rentable » et « non-rentable » en parlant de malades est généralement méconnue. Elle est pourtant simple et repose sur le fait qu’on peut classer les personnes hospitalisées en 2 catégories:
–   celles qui nécessiteront peu d’opérations mais une longue hospitalisation ;
– celles qui nécessiteront beaucoup d’opérations mais une hospitalisation relativement courte.
Sachant que sur le prix de journée (pour un jour d’hospitalisation), même si celui-ci est élevé, un établissement hospitalier est déficitaire, il est facile de comprendre que les patients rentables appartiennent à la 2e catégorie.

Pour rendre l’hôpital excédentaire, il apparaissait évident qu’il fallait que cesse ce tri des malades qui entraînait un déficit chronique de l’établissement. Et de cette constatation découlait tout naturellement qu’il fallait un chirurgien à temps plein à l’hôpital public.
C’est ce que mon père s’est assigné comme mission au cours des années où lui avait été confiée la gestion de l’hôpital d’Argentan.
Pour lui, bien que fonctionnaire, il semblait normal qu’un hôpital soit géré comme un établissement privé, c’est à dire avec la recherche, sinon d’un excédent budgétaire, au moins d’un équilibre des comptes, et surtout pas un déficit chronique, ceci bien entendu dans le strict respect de la mission de service public dévolue à un établissement… public.

Pour justifier cette démarche auprès du conseil d’administration et des autorités de tutelle, il a fallu montrer qu’il existait un besoin de la population et que  le statut des chirurgiens exerçant dans le public tout en étant propriétaires d’une clinique privée entravait, de fait, la libre concurrence entre les établissements. Une consultation du registre du commerce a suffi à prouver le statut juridique de la clinique et à trouver les noms des gestionnaires. Quant à l’existence d’un besoin de la population, elle a été argumentée de différentes manières dont je ne me souviens plus très bien à part le fait que sont survenus quelques scandales de malades déplacés de l’hôpital à la clinique pour une opération puis revenus ensuite à l’hôpital pour terminer leur séjour. Un comble!

Je passe sur les détails du début de l’installation du chirurgien et de son anesthésiste (sans lequel les opérations sont impossibles) mais disons simplement que beaucoup d’efforts ont été déployés pour mettre les bâtons dans les roues du nouveau système. Je vous laisse deviner qui était derrière ces manoeuvres…
Toujours est-il que pendant quelque temps, sans anesthésiste, le nouveau chirurgien n’a pas pu exercer. Sans se démonter, il en a alors profité pour battre la campagne et aller se présenter à tous les médecins généralistes du secteur pour leur expliquer son rôle et beaucoup étaient d’ailleurs ravis de ne plus dépendre d’un monopole de la chirurgie.
Dès ses premières opérations, le nouveau chirurgien s’est fait remarquer par des interventions réussies sur des patients que ses collègues avaient refusé d’opérer prétextant que leur cas était désespéré! La nouvelle de ses succès se sont ainsi rapidement diffusées dans la population locale, entraînant un nouvel afflux de patients à l’hôpital public.
Il faut aussi dire que ce nouveau chirurgien n’était pas n’importe qui. Il s’agissait de l’ancien chef du service de chirurgie de l’hôpital universitaire de Beyrouth. Un homme de grande expérience et très réputé pour sa dextérité!

Le service de chirurgie s’est donc considérablement développé et l’on peut dire que le service public a été amélioré puisque les patients étaient mieux soignés et plus rapidement.
Au cours des dix années de gestion de mon père, l’hôpital d’Argentan a pu équilibrer son budget et même devenir légèrement excédentaire sans pour autant réduire le personnel puisque, dans le même temps, le nombre d’employés a été multiplié par 3. Or, on sait que le poste budgétaire du personnel représente plus de 70 % du budget d’un établissement public. Ce sont les recettes apportées par les opérations et d’autres améliorations de la gestion que je raconterai dans un autre article qui ont permis d’enrayer le déficit budgétaire.
L’hôpital d’Argentan a donc été dans les années 60 le seul établissement hospitalier public de France a avoir un budget excédentaire.
Et dans le même temps, mon père était le plus mal noté du ministère de la Santé!
Cherchez l’erreur! 🙁

à suivre…

Voir  » Un attaché détaché 2 «